L'IA et son impact sur le monde du travail et le dialogue social
Intelligence humaine - l'IA pour les Ressources Humaines #7
Nous sommes Maxime Le Bras, Responsable du Recrutement d’Alan, et Charles Gorintin, Cofondateur et CTO d’Alan, pour vous donner de la tech et du RH. Ceci est une newsletter portant sur l’utilisation de l’Intelligence Artificielle (IA) par les spécialistes des ressources humaines. C’est promis, elle n’est pas générée par ChatGPT.
Parmi les grands débats actuels, l’impact de l’IA sur le monde du travail engendre la controverse.
À court terme, l'IA est souvent perçue comme une menace, une technologie disruptive qui pourrait se substituer aux travailleurs humains dans de nombreux domaines et entraîner des destructions massives d'emplois.
En réalité, l'histoire des révolutions technologiques nous enseigne que si leurs impacts sont souvent surestimés à court terme, ils sont en revanche fréquemment sous-estimés sur le long terme. Les gains de productivité considérables permis par l'IA vont profondément transformer la nature et l'organisation du travail dans les décennies à venir.
Toutes les entreprises vont devoir se positionner sur la réutilisation de ce temps libéré par l’Intelligence Artificielle. Il y a quatre grandes manières de réinvestir ce temps :
La réduction des personnels et des coûts — L’interprétation la plus naïve pourrait nous faire dire que le temps gagné avec l’IA pourrait uniquement réduire les besoins de main d’œuvre humaine, et donc mener à du chômage de masse, car les entreprises ne souhaiteraient que baisser les coûts à production constante. Les entreprises qui feraient ce choix exclusif risquent plutôt de s’engager dans la voie de la lente obsolescence.
L’augmentation de la quantité — Les gains de productivité dégagés pourraient alternativement être réinvestis pour augmenter la quantité de biens et services produits, car la demande augmenterait, avec à la clé une augmentation des embauches. C’est là qu’intervient le paradoxe de Jevons : l'amélioration de l'efficacité apportée par une technologie stimule la demande en rendant viables de nouvelles utilisations.
Quelques exemples appliqués à l’IA :
La chute du coût de traduction (de livres, discours…) pourrait amener à l'augmentation du nombre de traductions dans de nombreuses langues. Cela mènerait paradoxalement à une augmentation de la demande en traducteurs, car il y aurait plus de textes traduits par l'IA à relire pour éviter les contre-sens, même si le métier change de nature.
la réduction du coût d’un morceau de logiciel à l’aide de l’IA pourrait augmenter la demande en rendant viable le fait d’avoir des applications personnalisées à des endroits autrefois non viables économiquement (chaque lieu ou institution publique pourrait avoir son application ?), ce qui mènerait paradoxalement à une augmentation de la demande en développeurs (le logiciel n’a pas fini de manger le monde).
L’augmentation de la qualité — Le travail tend à se dilater pour occuper le temps disponible, c’est la loi de Parkinson (j’adore le bouquin éponyme dont elle est tirée). Même si l'IA permet d'accomplir les tâches plus rapidement, les humains pourront utiliser le temps dégagé pour peaufiner leur travail en y apportant leur touche personnelle et en améliorant la qualité de ce qu’ils auront produit. On peut penser aux médecins qui peuvent passer plus de temps sur de l’humain si on leur retire de la charge administrative.
La réduction du temps de travail — Si nous arrivons à défier la loi de Parkinson, le temps libéré par l'automatisation de tâches rébarbatives pourrait aussi réinvesti par les entreprises dans une réduction du temps de travail hebdomadaire pour les travailleurs concernés. Le fameux rêve keynésien des 15 heures de travail par semaine en 2030, qui suffiraient pour subvenir à nos besoins (lesquels augment parallèlement). Certains expérimentent la semaine de 4 jours. À plus long terme, je crois en la possibilité de la “société de l’otium” (qui demandera un post de blog à part entière) où on peut choisir de travailler (negotium, le non-otium, la négoce) ou non (l’otium, la vie de loisirs), car nous serons suppléés par l’IA. La clé restant le partage de la valeur.
Notre société aura aussi le choix de ne pas bénéficier des avancées de l’IA. Alors ce réinvestissement serait caduc (ce serait dommage !).
À nous d’entretenir le dialogue social qui convient pour que le gain engendré par l’IA bénéficie à tous, sans naïveté, mais avec optimisme quant aux opportunités qu'elle représente pour nos sociétés.
Trois questions pour une experte
— Dans le domaine du dialogue social, quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontée au quotidien et pour lesquels vous pensez que l'IA pourrait apporter des solutions ?
— Laurence : Dans la décennie à venir, le dialogue social devra continuer à faire face à des défis majeurs pour garantir une représentation efficace des salariés et une négociation collective de qualité. La singularité des transformations à l'œuvre et à venir tient en effet à leur grande complexité et à leur caractère systémique. Le « rythme » du dialogue social est aussi vivement challengé et encore trop largement calé sur un mode de fonctionnement de l'entreprise d'avant : il faut désormais apprendre à naviguer entre l'urgence des crises à répétition et pas toujours anticipables, la rapidité des cycles, l'accélération des repositionnements industriels et technologiques, l'urgence de la transition écologique qui impose un changement de modèle productif… Tout ça, dans un contexte de renouvellement générationnel des acteurs du dialogue social, dans lequel les besoins de montée en compétence des parties prenantes et du développement de méthodes innovantes devront donc être portés comme des priorités absolues.
D'autant que les transformations du marché du travail - avec le développement de nouvelles formes d'emploi, l'essor du numérique et l'évolution des usages, la disparité des aspirations - rendent beaucoup plus complexe la proximité avec les salariés. Il est évident que sur ces multiples enjeux, l'IA peut être un atout, un levier et ouvrir de nouvelles perspectives. Mais l'IA fait aussi partie de la complexité de cette période : elle va refaçonner les compétences, mettre à l'épreuve les hiérarchies traditionnelles, ouvrir des espaces inédits pour certains salariés jusqu'ici cantonnés dans des tâches répétitives, et imposer de nouvelles logiques collaboratives.
Tels sont les défis immenses auxquels seront confrontées les parties prenantes dans le renouvellement incontournable du contrat social au sein de l'entreprise et des secteurs professionnels.
— Selon vous, quelles fonctionnalités ou capacités spécifiques attendez-vous des outils d'IA pour améliorer la gestion du dialogue social dans les entreprises ?
— Laurence : Tout ce qui peut contribuer à rendre plus égalitaire (en moyens et en information), à enrichir et à comprendre le dialogue social :
Réduire l'asymétrie entre les parties prenantes de l'entreprise, avoir les moyens d'objectiver et d'enrichir les différents temps du dialogue social grâce à un accès rapide et efficace et un partage de l'information, de bonnes pratiques ;
Permettre la formation et la personnalisation de l'apprentissage des acteurs du dialogue social notamment des nouveaux élus selon leur formation initiale, leur parcours, leurs besoins et en prenant en compte l'évolution des usages des nouvelles générations ;
Automatiser certaines tâches répétitives avec peu de valeur ajoutée pour permettre de dégager du temps pour enrichir les temps collectifs ;
Faciliter la proximité avec les salariés et le traitement de leur expression notamment sur leur quotidien, pour les accompagner et permettre le recueil des éléments susceptibles d'alimenter un diagnostic partagé avec l'employeur ;
Informer, attirer et recruter les membres des organisations syndicales pour en assurer leur renouvellement.
Autant d'objectifs qui passeront par des accords sur le dialogue social enrichis, une acculturation du corps social à l'IA et une appropriation de ces outils.
— Si des solutions d'IA étaient mises en place pour vous aider dans le dialogue social, quelles seraient vos principales attentes et préoccupations en termes d'utilisation, d'efficacité et d'éthique ?
— Laurence : Une de ces attentes serait que l'accès à l'IA et son utilisation jouent un rôle dans le renforcement de la démocratie sociale notamment par la réhabilitation des corps intermédiaires et non pas pour les contourner. Ces derniers sont un des maillons essentiels de la démocratie dans la structuration de l'espace et du débat public mais ils sont questionnés de plus en plus sur leur légitimité et leur représentativité notamment pour les petites entreprises. Permettre de rétablir la communication entre les salariés et les organisations syndicales, développer des processus plus participatifs et délibératifs pour que chacun se sente écouté et représenté et développer des études d'impact pour éviter les changements par à-coups sont quelques fonctionnalités de l'IA qui pourraient changer la donne et à moindre coût.
Déployer l'IA n'est évidemment pas sans risque et la question déontologique est centrale mais la réglementation sera de toute évidence plus efficace dans les pays ou les régions du monde qui créeront et ainsi maîtriseront l'IA et dont les citoyens l'auront expérimentée. Cette révolution technologique, notamment celle de l'IA générative doit pouvoir être expérimentée par tous, pour voir ce qu'elle peut apporter dans certaines tâches et dans les métiers pour que chacun ait les moyens de l'utiliser et d'optimiser son quotidien.
Dans le monde de l'IA ce mois-ci…
Ces derniers jours, nous avons trouvé intéressant :
GPT4o — Les avancées d'OpenAI sur les interactions (voix, images) avec l'IA.
Gemini 1.5 — Une vidéo où l'IA agit comme une deuxième paire d'yeux sur votre travail.
Mapping — Une cartographie des principaux outils d'IA, catégorisés par modalité.
👋 Rendez-vous dans un mois,
— Charles & Maxime